Le Graal des glaciologues percé à jour

Publié le par Phil Fossil

 

Gilles Toussaint

Mis en ligne le 25/01/2013

 

Précieuse étude sur la réactivité de la calotte glaciaire au réchauffement.

 

C’est une pièce importante du puzzle de l’histoire climatique que vient de faire parler une équipe scientifique internationale. Pour la première fois, les chercheurs sont en effet parvenus à extraire de la calotte polaire groenlandaise une carotte de glace qui leur permet d’accéder à l’intégralité des "archives" de la dernière période interglaciaire qu’a connu notre planète. Et celles-ci ont révélé quelques surprises. Baptisé "Eémien", cet épisode chaud à l’échelle du temps géologique, s’est déroulé il y a 130 000 ans.

 

Pendant une quinzaine de milliers d’années, la Terre a bénéficié d’une température qui, aux deux pôles, était nettement supérieure à celle que nous connaissons aujourd’hui. "C’est la raison pour laquelle nous nous intéressons à cette période car elle doit nous aider à comprendre comment la planète pourrait évoluer dans un environnement plus chaud et notamment comment le Groenland s’est comporté", commente Frank Pattyn, professeur au laboratoire de glaciologie de l’ULB et coauteur de cette étude.

 

Entamés en 2007, les travaux du projet NEEM (North Greenland Eemina Ice Drilling) se sont clôturés l’été dernier. Durant ces cinq années, les scientifiques ont patiemment foré la glace sur un site au nord-ouest de la calotte groenlandaise pour en retirer, morceau par morceau, une succession de carottes de quelque 2,5 km de long. Ils se sont ensuite attelés à faire parler une portion d’un peu plus de 200 mètres recouvrant l’Eémien. La glace contient en effet divers marqueurs qui témoignent du climat passé. L’eau, l’air et les impuretés qui y sont piégés livrent des informations sur la température, la quantité de précipitations ou encore la composition de l’atmosphère. "Il s’agissait d’une vraie quête du Graal, c’est quelque chose que l’on cherchait à atteindre depuis les années 1960", commente Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives - France) qui a également participé à ces recherches. La première surprise, explique-t-elle, est donc d’être parvenu à obtenir un enregistrement de cette période dans son intégrité, alors que les couches de glace supérieure et inférieure ­ correspondant aux périodes froides qui ont précédé et suivi l’Eémien ­étaient très altérées.

 

"Cela nous a permis de comprendre que la glace des périodes glaciaires se déforme plus facilement car elle contient davantage de poussières que celle qui se forme pendant une période chaude. C’est un aspect important pour bien comprendre ce qui se passe au fond d’une calotte." Mais les enseignements les plus spectaculaires sont d’ordre climatique. Les chercheurs ont en effet découvert que le thermomètre groenlandais avait poussé des pointes de 4 à 8 degrés supérieures à la température moyenne qui a régné sur le "pays vert" au cours du dernier millénaire - même s’il demeure une marge d’incertitude. Des variations qui sont plus importantes que ne le simulent les modèles climatiques pour cette période interglaciaire. Contre toute attente, la réaction de la calotte polaire à cette surchauffe a été moins importante que ce que l’on estimait jusqu’à présent ; celle-ci n’aurait perdu qu’un quart de son volume alors que les scientifiques tablaient sur le double.

 

"On sait avec certitude qu’il y a 125 000 ans le niveau des mers était supérieur d’au moins 4 mètres à ce qu’il est aujourd’hui ; et peut-être même de 6 mètres, voire de 8. La bonne nouvelle, c’est que le rôle joué par la fonte de la calotte groenlandaise n’aurait contribué qu’à une élévation de l’ordre de 2 mètres. La mauvaise nouvelle, c’est que la différence doit donc venir des secteurs potentiellement instables de l’est et de l’ouest de l’Antarctique pour lesquels on dispose de peu d’observations, explique notre interlocutrice. On commence à voir beaucoup de changements rapides au Pôle Sud, mais la fonte se passe sous la partie inférieure de la glace qui est en contact avec l’océan, alors qu’au Groenland on assiste plutôt à une fonte de la calotte en surface. Cela signifie que si le réchauffement s’amplifie, l’Antarctique pourrait connaître des variations beaucoup plus importantes que ce qui était escompté", ajoute le Pr Pattyn.

 

L’analogie entre le climat de la période éémienne et le climat actuel s’arrête cependant là. Le réchauffement enregistré à cette époque était lié à des variations naturelles de l’orbite terrestre, rappelle la paléoclimatologue française. Celles-ci entraînent une répartition différente de l’énergie qui nous parvient du Soleil selon les saisons et les latitudes.

 

Les changements climatiques actuels sont pour leur part liés au facteur artificiel que sont les émissions de gaz à effet de serre anthropiques. Et la vitesse très rapide à laquelle ceux-ci se déroulent est sans comparaison avec les changements que l’on a connus dans le passé.

 

 

 

 http://www.lalibre.be/societe/planete/article/792592/le-graal-des-glaciologues-perce-a-jour.html

 

Phil « Fossil »

 

Publié dans Revue de presse

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article