Opération commando à Anvers (7)

Publié le par Phil Fossil

 

D’abord manger…

Comme à son habitude, Paleoman s'était levé très tôt, pour enfiler à son aise et méthodiquement le copieux petit-déjeuner qui venait de lui être servi.

Toujours à la même heure, parce qu'il détestait par-dessus tout perdre du temps, mais aussi selon des spécifications toutes personnelles, car il avait besoin de sa ration d'énergie journalière, ne pouvant se permettre la moindre faiblesse par la suite, au cours du lourd et harassant travail auquel il était astreint tous les matins.

Certes, au début, avoir exprimé de tels desiderata alimentaires dans un établissement pénitentiaire avait paru plutôt incongru, mais les très bonnes relations qu'il avait immédiatement suscitées, puis savamment entretenues avec le personnel de surveillance avaient grandement facilité les choses. D'abord, les gardiens avaient tous leurs petites faiblesses, dont il avait su vite déceler la nature, ensuite pu habilement tirer parti. Et puis, la plupart d’entre eux avait fini par comprendre la signification de la tâche hautement importante qui l'attendait, acceptant plus facilement toutes ces légères entorses au règlement intérieur.

Evidemment, Paleoman avait été contraint de composer avec les principales obligations de la vie carcérale, mais il l'avait accepté cet inconvénient avec d'autant plus de bonne volonté qu’elles n’étaient somme toute que très accessoires, combien minimes par rapport à son objectif final, à savoir ce qu’il se prenait désormais à qualifier mentalement de « hold-up du siècle » dans la paléontologie.

Après ses aventures mouvementées dans le chantier de construction de la nouvelle écluse qui devait desservir le Deurganckdok en le reliant directement aux bassins intérieurs, les choses avaient été plus que rondement menées. A sa grande mais secrète satisfaction, les policiers n’avaient pas traîné pour le soustraire aux éventuelles velléités vengeresses des ouvriers du port, le faisant rapidement grimper dans leur confortable combi, un abri dont il avait même apprécié toute cette chaleur qui lui avait manqué durant les heures précédentes.

Après un démarrage plutôt rapide - conduite du véhicule par l’énergique jeune policière oblige - Paléoman avait lancé un coup d’œil en arrière, vers les lieux de ses derniers exploits, observant pensivement le quasi chaos qu’il venait modestement d’engendrer. Mais bien perplexe aurait été un autre passager, s’il y en avait eu un, qui aurait surpris le sourire qu’il affichait de plus en plus, du coin des lèvres, au fur et à mesure que la direction de leur voyage parut comme évidente : le centre de la ville d’Anvers.

Arrivés devant leur destination finale, les policiers s’étaient d’ailleurs montrés fort étonnés d’apercevoir cette mine franchement réjouie qu’arborait leur « client » lorsqu’ils s’étaient immobilisés devant une haute façade faite tout de pierres et de vieilles briques, d’architecture fort ancienne et dont l’apparence austère voire l’aspect militariste semblait fort peu sympathique de par sa nature.

Pour l’avoir maintes fois examinée dans les moindres détails au cours de ses précédents repérages, Paleoman savait qu’il avait devant lui l’entrée principale de la « maison d’arrêt », un bâtiment construit au beau milieu du dix-neuvième siècle. Les yeux fermés, il se remémora la disposition exacte des bâtiments, tels qu’il les imaginait se prolonger devant lui : une architecture cellulaire, basée sur un modèle en étoile, avec un noyau central d'où partaient trois ailes, dont deux contenaient des cellules sur trois niveaux et une aile des cellules sur quatre niveaux.

Avec un brin d’ironie, il s’était même un jour aperçu que - vue du dessus - la forme générale de la prison d’Anvers n’était pas sans rappeler celle d’un trident.

Ou plutôt d’une griffe !

D’un grattoir…

Fort d’un tel heureux présage, et sur base des recherches faites auprès de spécialistes en la matière, Paleoman savait que la suite de son parcours allait répondre à une chronologie très stricte et une procédure quasiment immuable : la consultation de plusieurs éminents avocats du barreau local, puis les précieux conseils prodigués par le pote Carchadorias quant à la faisabilité pratique de l’opération, avaient été à cet égard déterminants pour lever ses moindres doutes sur les risques encourus, et pour dissiper ses dernières craintes de dérapage excessif.

Après tout, pour spectaculaires qu’ils aient été, les quelques faits dont il s’était rendu coupable paraissaient comparativement bénins au regard de toute cette actualité sordide quotidiennement étalée dans les médias, à défaut pour lui d’avoir porté atteinte à qui que ce soit en termes d’intégrité physique.

Les quelques ouvriers qu’il avait copieusement arrosés ou bousculés sans ménagement en seraient quittes pour une blessure d’amour propre, dont chacun sait qu’elle ne sera jamais mortelle.

La suite de la procédure d’incarcération allait ainsi être rondement menée, dont il n’avait cependant pas compris toutes les subtilités juridiques, pour peu qu’elles aient eu la moindre importance pratique.

Au boulot ! lança alors à voix haute un Paléoman rassasié, bien qu’il fut tout seul dans sa cellule…

(à suivre)


Publié dans Ecarts de CarchaDOrias

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