Opération commando à Anvers (2)

Publié le par Phil Fossil

 

 

Paleoman poussa un de ces énormes bâillements tonitruants dont lui seul avait le secret...

 

Confortablement installé à même le sol, il était étendu de tout son long, cherchant à optimiser sa position pour tenter de compenser les inévitables douleurs engendrées par ses efforts de la journée, et en vue de contrer les attaques de fatigue qui avaient commencé à l'envahir sournoisement.

 

Pour combattre ce sommeil profond qui n'allait pas tarder à le submerger, il continua à examiner les fantastiques trouvailles accumulées depuis le début des fouilles qu'il avait entreprises.

 

Des pièces fossiles exceptionnelles !

 

D'une beauté à peine descriptible…

 

Et que dire de la rareté de l'ensemble.

 

N'ayons pas peur des mots : sa récolte était tout simplement unique, un trésor paléontologique qu'aucun musée quel qu'il soit n'était en mesure de présenter, ni même d'approcher, tant en quantité que par la qualité intrinsèque des pièces.

 

Son expédition hautement audacieuse dans le port d’Anvers lui avait permis d'atteindre tous ses objectifs, même les plus incroyables mais ceux qu'il s'était pourtant fixés. L'aventure s'était déroulée au-delà de ses prévisions les plus optimistes et avait dépassé ses rêves les plus fous.

 

Pourtant, la réalisation d'un tel accomplissement ne s'était imposée que très progressivement, au fur et à mesure qu'il avait avancé dans la profondeur de la couche.

 

Tout d'abord, il avait découvert une petite latérale, solide et trapue à souhait. Rien qu'une telle prise eût justifié à elle seule une journée entière de tamisage intensif et ardu dans les sites traditionnels, ceux-là même qui faisaient désormais cruellement défaut !

 

Mais cela n'avait été que le début d'une longue épreuve pour ses nerfs pourtant d'ordinaire si bien accrochés, car une seconde dent lui était vite apparue, à peine plus grande que la première.

 

Une coïncidence, s'était-il astreint à conclure, à contrecœur, une simple et banale coïncidence.

 

Mais la troisième était alors tombée dans sa main, sans bruit et surtout sans tamisage, puisqu'il s'était enhardi à explorer doucement les sédiments dans le prolongement immédiat des deux autres pièces. Trois dents de requin similaires, d'une taille comparable – compatible –et mises à jour quasiment en enfilade, c'était - que dire - soit un coup tordu du destin, soit des reliques encore en place, fossilisées dans la gueule même de l'animal.

Fébrilement, mais sans précipitation excessive, avec un léger tremblement au bout des doigts mais dans un geste qui restait assez assuré par des longues années d’entraînement et d'expérience, Paléoman avait poursuivi son exploration prudente de la couche : une quatrième dent, d'une taille déjà plus impressionnante celle-là.

 

C'était bien trop pour n'être qu'un assortiment purement aléatoire, le produit d’un hasard malicieux, voire un peu pervers.

 

Mais la cinquième avait dissout ses derniers doutes, enlevé les minces résidus de craintes qui le taraudaient encore : l'une après l'autre, les dents s'étaient ensuite étalées dans ses mains, de plus en plus massives, épaisses et étonnamment lourdes.


Mal équipé sur le moment pour les nettoyer, il s'était contenté de les frotter superficiellement, pour enlever avec délicatesse l'essentiel de leur gangue sableuse : luisantes, avec leur couronne qui brillait doucement dans la faible luminosité, elles étaient vite apparues comme totalement intactes, d’une couleur uniforme bleu ciel avec quelques reflets roses, la racine trapue et impeccable et une serrulation paradoxalement très fine, quasiment translucide.

 

Pas le moindre dommage, pas la plus infime fissure, pas le plus petit éclat n’était visible.

 

Pire…


Pris d'une soudaine mais irrépressible impulsion, Paléoman était descendu quelques centimètres plus bas que la zone qu'il venait d'explorer : ce qu'il n'avait osé espérer dans ses rêves les plus délirants s'y trouvait.

 

Des dents impressionnantes, beaucoup moins larges que les précédentes certes, mais plus cintrées et fortement trapues à la base.

 

La mâchoire inférieure...

 

A nouveau, il les avait récoltées, l'une après l'autre, méthodiquement, de plus en plus révérencieusement au fur et à mesure qu'il comprenait toute l’ampleur de sa découverte. Arrivé à ce qu'il estimait pouvoir être le « centre » de la mâchoire - car il en était désormais pleinement convaincu, c’en était une - il avait alors décidé de sonder, vers l'intérieur de la couche cette fois.

 

Bingo !

 

Un premier disque sombre lui était apparu, beaucoup plus large que ces « pigeons d'argile » qu'on utilisait d'ordinaire comme cibles dans les tirs aux clays. Plus de quinze centimètres, avait-il même estimé à vue de nez. La vertèbre était massive, épaisse d'au moins deux pouces, légèrement poreuse mais bien préservée dans son ensemble. Puis était venu l'instant de vérité : un second disque, identique, directement sous le premier, puis un autre, qui lui semblait curieusement soudé.


La colonne entière s'enfonçait selon toute vraisemblance vers l'intérieur des sédiments.

 

Les heures qui allaient suivre devaient confirmer tous ses espoirs : Paleoman allait exhumer un squelette complet, et en parfait état de conservation, d'un requin géant, disparu depuis des millions d'années mais connu dans le monde entier sous le nom de Megaselachus megalodon.

 

Paleoman poussa un nouveau bâillement tonitruant, satisfait de sa journée.

 

Son plan avait magnifiquement fonctionné.

Mais cela n’avait pas été sans mal. 

 

Ni sans un lourd prix à payer…

 

(à suivre)

 

 

Publié dans Ecarts de CarchaDOrias

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