Opération commando à Anvers (3)

Publié le par Phil Fossil


Paleoman soupira d’aise…

Incontestablement, l’énorme Megaselachus megalodon qu’il tenait en main était pathologique, constituée d’une curieuse dentelle de pierre telle qu’il n’en avait jamais rencontrée.

Certes, la dent fossile était visiblement complète, couronne et racine intacte, mais c’était une monstruosité en termes de développement anormal, de malformation aléatoire, torsadée qu’elle était jusqu’à ne plus même être reconnaissable au premier coup d’œil, soit au moment précis de sa découverte.

Elle n’était d’ailleurs pas loin d’être devenue sa pièce préférée : en termes d’esthétique, c’était une horreur pétrifiée, certes, mais la qualité de sa préservation - couleur « bleu avec des nuances rose pâle » comme toutes les autres - se conjuguait à son caractère rarissime et exceptionnel pour en faire un bijou d’une valeur inestimable.

La cerise sur le gâteau, après le squelette complet, pensa-t-il en la reposant délicatement dans sa boîte protectrice.

Encore une raison supplémentaire, finalement, de supporter tous les sacrifices auxquels il avait été contraint de consentir par la suite.

Car cette expédition dans le chantier du port d’Anvers avait été pour lui un « parcours du combattant », dans tous les sens du terme.

Les moindres détails en étaient encore tout frais dans sa mémoire.

Il esquissa même un sourire, en se rappelant cette aventure plutôt chaotique…

Arrivé en trombe au pied de la falaise de sable, cette tranchée creusée pour servir plus tard de mur d’écluse moyennant un bétonnage colossal, Paléoman n’avait pas perdu de temps, sachant que son opération originale n’avait de chance sérieuse de réussir que s’il pouvait continuer à en maîtriser tous les paramètres.

Evidemment, sa méthode était totalement novatrice et audacieuse, autant que spectaculaire : le principe même d’« emprunter » sur place un gros bulldozer de chantier pour défoncer à toute allure les clôtures n’avait pas été une décision facile à prendre, surtout qu’il allait sans doute lui falloir par la suite en assumer toutes les conséquences.

Mais à défaut d’être passé inaperçu - paradoxalement, tout le contraire de ce qu’il recherchait ! - il n’avait pas été le moins du monde surpris des désordres qu’avait suscité son incursion dans la zone.

Quoique si, à la réflexion, ce qui l’avait tout de même étonné avait été la rapidité de réaction des autorités locales, avec tous ces véhicules officiels qui avaient soudain convergé, gyrophares en bataille et plusieurs sirènes hurlantes, vers sa destination initiale, le lieu précis où il s’était installé pour tamiser la couche fossilifère.

Inexorablement cerné, le dos au mur, Paléoman les avait ainsi vus et entendus fondre dans sa direction, pour finir par s’immobiliser à quelques mètres dans des geysers de boue, comme s’il s’était agi d’une banale série américaine de très bas de gamme. Heureusement toutefois, aucun de ces hommes casqués et en cirés jaunes ne l’avait mis en joue, mais les cris qu’ils poussaient à son encontre dans la langue de Vondel étaient tout sauf rassurants. A défaut d’en comprendre jusqu’à la moindre nuance - il devait d’ailleurs sans doute y en avoir très peu ! -, il avait alors décidé de procéder à la phase suivante de son plan savamment échafaudé depuis des mois.

Le puissant groupe hydrophore, celui-là même qu’il avait prévu à l’origine pour, le cas échéant, nettoyer les sédiments, avait été mis instantanément en batterie, lancé à la corde de démarrage, comme une vulgaire tondeuse, sans même le descendre du bulldozer sur lequel il l’avait fixé bien avant le début de l’opération.

Dans les immenses flaques d’eau brunâtre situées juste à côté de son point de fouilles, Paléoman avait alors trouvé toute la manière première dont il avait besoin : braquant l’extrémité du tuyau dans la direction des hommes en cirés, il avait ouvert sans hésitation la vanne, et les avait arrosés à grands jets concentriques, l’un après l’autre, en commençant par le plus proche pour aller vers le plus éloigné, jusqu’à ce qu’ils soient tous rejetés en arrière par la pression, contraints de se réfugier derrière leurs gros véhicules.

Bien qu’une telle technique eut été beaucoup moins professionnelle et efficace que tout le matériel spécialisé dont disposaient certains services de police pour lutter contre les manifestations urbaines, l’effet qu’il avait ainsi obtenu n’était pas négligeable : plus aucune silhouette n’était visible à proximité immédiate !

Paléoman venait de gagner la première manche…

N’écoutant que le pressant appel du tamis, il était alors retourné sans précipitation excessive vers cette encoche qu’il avait déjà grattée dans la couche sableuse, à hauteur d’homme, puis s’était agenouillé face à elle pour reprendre son travail.

A nouveau, une oreille attentive, pour peu qu’elle eut été à une distance suffisante, eut pu entendre Paléoman marmonner entre les dents :

Des clôtures, on leur en foutra, des clôtures…

(à suivre)

Publié dans Ecarts de CarchaDOrias

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